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Gérard

Voyage à Bône du 8 au 11 mars 2010, ou "les jours heureux"

(Gérard Rodriguez)

Franchement je suis devant une page blanche, il me faut commencer. J'ai pris tant de notes durant ce voyage, car je voulais être sûr de bien retranscrire ce que je vivais. Que je ne veux rien oublier de mes émotions qui m'ont fait vibrer au son de mes 10 ans à Bône. Car oui, en posant le pied sur ma ville, je n'ai plus 60 ans, j'ai bel et bien dix ans et c'est le temps des jours heureux. A la fin de ce récit. Non, pas à la fin de ce récit. A la fin d'avoir livré mes émotions. Je dirais si j'ai réussis à mettre sur une simple feuille. Ce qui s'appelle "arrêt sur mes jours heureux".

Alger oui c'est beau. Mais ce n'est pas ma ville. Alors qu'on me pardonne si je suis pressé de monter dans cet avion d'Air Algérie qui m'amènera vers la coquette. Je suis au bonheur total, et si je le pouvais, je pousserai sur les moteurs. Le temps passe et j'arrive près de Bône, je regarde la mer, cette mer où j'ai attrapé tant de sars au Lever de l'aurore. Et je me dis que leurs petits petits enfants à tous ces poissons sont là, juste en dessous, et qu'ils doivent sûrement encore se parler de Gégé qui a décimé leurs parents à coups de crevettes et de bromège et cela me fait rire. Bône ma belle ville. Toi qui m'a donné mes plus beaux jours. J'arrive!!

Il est 16 heures quand l'avion se pose sur l'aéroport des salines. Il pleut des trombes d'eau. Un vent à décorner les boeufs. Mais cet air chaud même si nous sommes encore en hiver, oui cet air chaud et humide je le reconnais d'instinct. Comme un enfant reconnaît le sein de sa mère. Alors je me laisse aller la tête haute à me faire fouetter le visage par cette pluie dont chaque goutte est une caresse. Oui je reconnais la pluie de mes dix ans, le sol est gorgé d'eau et si, de toutes parts ça court pour se mettre à l'abri, moi je prends mon temps. Je veux savourer cette pluie Bônoise. Et je me penche sur le sol, et avec ma main j'agite l'eau. Elle est tiède pas de doute. Elle est bien cette eau qui lorsque je revenais de l'école Beauséjour me noyait en ces après midi d'automne et d'hiver, que c'est bon de retrouver ses racines. Que c'est bon d'être à Bône chez moi. Et voilà je prends mes bagages. Ah je reconnais même les chariots à bagages. Ils sont les mêmes que nous avions quitté en 62. Ces chariots qui ont une dernière fois porté les valises de ceux qui savaient qu'ils ne reviendront plus. Je les sens plein d'histoire, plein de tristesse. Alors je caresse la poignée de mon chariot avec mes deux mains en pensant à celles qui en 62 devaient les serrer très fort en pleurant, je m'engouffre dans un taxi dont nous négocions le prix, et me voilà parti pour l'hôtel. Par la corniche.

Les arcades de la corniche
Bienvenue à Bône

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Ah les souvenirs. Cette corniche. Tiens voilà Redzin et ses frites, ses caldis, ses merguez, la mer est démontée mais comme elle est belle, pas de doute je suis chez moi. Cette phrase je vais me la redire souvent tant elle me comble de bonheur. Voilà les arcades qui se dressent en bas du collège d'Alzon et qui m'ont si souvent abrités. Lorsque j'allais voir avec mon papa les tempêtes, dans le temps des jours heureux. Il me prenait la main, et bien à l'abri, nous regardions les vagues venir jusque sur la route de la corniche. Il faisait chaud. Je me sentais en sécurité près de mon papa et nous regardions au loin. Là sans rien dire. Juste en communion avec ce qui semblait éternel. Et puis St Cloud. Et l'hôtel El Mouna, vite vite je me fous de la pluie du vent je dois être dehors car c'est dehors que ça se passe. C'est dehors que Bône vibre. Que les odeurs et les senteurs de ma belle ville explosent. Le temps n'a pas d'emprise sur toi ma ville. Tu es telle que je t'ai laissée, car je te vois avec les yeux de l'amour. Si je devais les ôter alors oui je verrai ce que tous voient mais moi je suis trop amoureux de toi pour te voir autrement qu'à mes dix ans.

Déjà 17 heures et je décide d'aller voir le quartier St Thérèse. Ces rues que j'ai si souvent grimpées pour aller à l'église. Et je décide de prendre le maximum de photos de toutes ces belles villas, en me disant que peut-être, quelqu'un reconnaîtra la sienne. Aïe aïe comme elles vieillissent mal. Aucun entretien n'est fait, alors le temps poursuit son oeuvre. Vous qui étiez l'orgueil de vos premiers propriétaires. Je vous sens triste et je ne sais si c'est la pluie qui redouble, je vous sens abandonné. Pourtant St Thérèse était un quartier huppé, mais voilà 50 ans ont passé. Et puis soudain des algériens du quartier me demandent "vous cherchez votre maison?" et je leur réponds que non la discussion s'engage je les sens prêt à tout pour m'aider. Je leur dis que je cherche la maison de ma tante titi. Cette villa je m'en rappelle car elle avait un petit jardin où avec mon cousin Henri, on se cachait dans le sous sol et on tirait avec sa carabine à plombs sur les moineaux, mais je cherche en vain je ne trouve pas. "Ah si vous aviez au moins un numéro" me disent-ils. Je les sens gentils avenants prêts à m'aider. Ils se mettent à chercher avec moi. Comme c'est bon de se sentir comprit et aimé, la blessure est des deux côtés et chacun fait son bout de chemin pour réconforter l'autre, belle Algérie.

L'église Sainte Thérèse

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J'arrive à l'église St Thérèse, transformée en mosquée. Bien sûr ça fait un choc, je regarde je touche ses murs qui ont vu défiler tant de mariages. D'enterrement, de communiants, je me rappelle, les filles avaient des robes on aurait cru des mariés faut dire que nous les pieds noirs on était assez show times. La figure ont l'avait. Hein!!! Je monte les marches. Et je rencontre deux vendeurs de bonbons qui me disent vivre de cela. Quelle tristesse, ils sont adorables de gentillesse. Ils m'aident à prendre toutes les photos que je veux. On se parle, je leur raconte le temps glorieux de l'église St Thérèse. Et cette pluie qui ne lâche pas. Je gravis ses marches que je montais le jour de ma communion en 1960 avec mon beau costume et mon gros cierge, je pense à tous ces pas qui se sont inscrit sur ces marches, pas qui devaient être éternels mais qui ne furent que moments, dans le temps, je revois ce bon curé nous dicter son catéchisme et nous obliger à nous confesser de péchés que nous avions supposémment fait, alors je lui racontais n'importe quoi, que j'avais volé des carottes dans le champs de Mr Magro. Quels péchés ont a fait à dix ans! "Bon alors il me disait: tu diras pour ta pénitence, trois je vous salue Marie et quatre Notre père" ça peut bien m'avoir écoeuré de la religion et toutes ces grenouilles de bénitier qui je me rappelle étaient assises sur les bancs à prier avec leur missel et qui une fois sorties de l'église se mettaient à raconter tous et n'importe quoi sur le voisinage. Ah les commères!!!

La clinique Sainte Thérèse

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Je redescends la rue de l'église St Thérèse, il pleut, rien de mieux pour me retrouver à dix ans. Que c'est donc bon de marcher dans Bône. Je me mets à la recherche de la clinique St Thérèse, car là ma maman a accouché de ma soeur. Si nous sommes tous nés à la maison, ma soeur a eu droit à la clinique. Aïe aïe toi aussi tu as vieillis car pas d'entretien. Je regarde la grande porte principale condamnée, car réservé aux cadres. Alors je passe sur le côté car dorénavant les patients doivent entrer à la clinique par la porte de service des employés. Mais en 58 quand ma maman a accouché je sais qu'elle est passée par la grande porte. Par le grand escalier. Alors je touche la poignée de la porte qu'elle a dû ouvrir et je grimpe toutes les marches une à une en faisant glisser mon pied d'un bout à l'autre de chaque marche. Je veux être sûr de poser le pied où ma maman avec son gros ventre est passé en 58. Parfois je passe ma main sur les marches. Est-ce là que tu es passé maman, à quoi pensais tu maman quand avec tes douleurs tu grimpais cet escalier. Hélas je ne peux retrouver la chambre car je n'ai pas le numéro. Je peux tout de même entrer grâce à la gentillesse du gardien et voir les chambres. Aïe aïe ce n'est plus ce que j'ai connu. Pauvres enfants entassés par 10 dans une chambre. Les lits sont les mêmes, ils ont subit les affres du temps. Une odeur de renfermé règne partout, et je me dis qu'il doit être préférable d'accoucher à la maison qu'ici, dehors il pleut toujours autant, et puis la nuit arrive. Il faut rentrer.

Diner à la Caravelle

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Je décide d'aller manger à la caravelle vers le Lever de l'aurore. Ce resto qui plus que jamais est réservé aux gens en moyen. C'est comme un défi d'y manger. Car petit je regardais les riches y manger. Aujourd'hui c'est mon tour, et je me tape des matsagounes et un loup de 3 kg avec une bonne bouteille de vin rouge de St Augustin, d'autant plus apprécié que le vin est rare autrement. Le maître d'hôtel me reconnaît on s'était vu en 2009 il est super gentil on parle, et je lui promet de lui ramener un souvenir du canada en 2011. Il a une belle éducation et on sent un homme instruit, je savoure mon moment dans ce resto. Il fait nuit, la pluie frappe fort sur les vitres, la mer tape sur les rochers, comme tout cela est bon. Le bonheur est dans le coeur tout le reste est invisible à l'oeil nu, je pense à mon papa et ma maman qui ont jamais pu y manger. Alors oui ce soir c'est pour vous que je mange à la caravelle, et puis je retourne à l'hôtel, par la corniche.

Te rappelles tu papa quand les soirs d'été à bicyclette toi et moi la cartalle pleine de sars et autres poissons nous rentrions à la maison. Seule quelques lumières éclairaient la corniche. Peu de gens circulaient la nuit à cause des attentats des fellaghas. Mais nous on y pensait pas. On tenait notre bambou et on pédalait, seul le bruit de la dynamo qui roulait sur le pneu faisait un bruit régulier de bromuuuu broummmm broummm. Et tu me disais. "Ta lumière elle marche? Que la police si elle nous voit sans la lumière elle nous met un procès, hein". Ah comme c'est bon de sentir la mer, je suis si heureux, que des larmes me coulent le long des joues mais je m'en fous, car je vis mes dix ans, oui je sais j'ai 60 ans mais de cela aussi je m'en fous. Pour ce moment là j'ai dix ans mon papa est là à côté de moi et on pédale dans la nuit étoilée sur la corniche à Bône. Mon ami qui m'accompagne a comprit qu'il doit se taire car il sait que je ne suis plus présent, que je suis en 1960 et que je suis illuminé de joie. Et je me fous aussi de ce qu'on en pense.

Le lundi matin, je remonte St Cloud vers la pierre carrée. Il ne pleut plus. Un beau soleil magnifique. La mer roule et meurt sur le sable de la plage, je décide d'aller voir à la cité Montplaisant ma maison du moins celle que nous habitions juste avant de partir en 62. J'ai encore un mauvais présage. Car en 2009 le mozabite qui l'habite m'avait refusé l'accès. Je monte la route de la fontaine romaine. Ici aussi le décor a changé. Besoin de place ou quoi? On a rasé les beaux cyprès. Du béton partout mais bon! Je dis à mon ami algérien que c'est inutile d'aller voir le mozabite, qu'il va encore me dire non! Mais mon ami insiste. Et veut le lui demander. Moi ça ne me tente pas de me faire dire non pour entrer chez moi car c'est bel et bien chez moi et non chez lui, et paff je me fais.
Ramasser un non, il refuse. Je me sens humilié, je sens qu'il jouit dans sa culotte de voir ma déconfiture, pourtant je garde le sourire, pas question de lui montrer mon désarroi. Qu'est ce que ça peut te foutre de me laisser entrer chez moi juste 5 mn. As-tu peur que je reprenne ma maison. Je n'en ai nul besoin.

La ville les 3 mousquetaires à la cité Montplaisant

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Bref je décide de ne pas me laisser gâcher ma journée et je le quitte aussitôt, et je rentre dans la cité Montplaisant. Je photographie toutes les villas une par une. Ce quartier est mon quartier, et voilà je regarde la villa des trois mousquetaires. Notre belle villa. Mais bon, dû aux incertitudes. Toutes les villas sont devenues des forteresses, hauts murs d'enceinte, fils barbelés, où es tu la cité Montplaisant de mon enfance, même au plus fort des événements nous n'étions pas barricadés de la sorte, alors je fais une fixation sur ma maison, je regarde, je pense, je revois, je ressens tout. Je vois ma maman, mon papa. J'entends les cris de mes frères qui courent dans le jardin, je vois mon papa sur le balcon en train de nous chanter ses chansons en regardant la nuit étoilée, ah ce qu'on est heureux en cette année 1960, et pourtant tout gronde autour de nous. Mais on ne sent rien venir du moins pas, l'ouragan qui allait nous emporter, alors va y papa chante, berce nous de tes chansons, raconte nous tes histoires de mounadjelles, et puis la nuit avance et faut aller se coucher car demain il y a l'école, ah oui je fais une fixation sur la villa des trois mousquetaires, pas de doute si un autre y habite. Lui ne possède pas son âme. Cela je le ressens. L'âme des trois mousquetaires est encore à nous. Et je sens que ma belle villa m'a reconnue, elle me sourit, alors je la caresse du regard. Et puis je m'approche et je passe ma main sur la plaque que mon papa avait placé et où est inscrit "VILLA LES TROIS MOUSQUETAIRES". Comme c'est bon. Soljetnitsine a dit à juste titre "on peut empêcher l'homme de parler, mais on ne peut l'empêcher de penser" alors je pense aux jours heureux. Ici quand je jouais aux billes sur ce trottoir qui est maintenant asphalté mais qui a connu mes déchirures de pantalons, avec des kix pas kix etc etc, je revois mon père qui entre et sort comme si cela devait durer toujours, je revois ma mère au balcon qui siffle pour que nous rentrions sinon mon père va descendre avec la ceinture, je regarde le toit et je me dis tiens, à cet endroit se trouve dans la toiture le grand bassin de béton qui contenait l'eau pour la maison et dans lequel de temps à autre vu que j'étais petit mon père me faisait entrer pour le nettoyer car il y avait peu d'espace entre le toit et le haut du bassin. J'imagine toute la maison, toutes les pièces. Et je me dis, vu l'extérieur dedans ça doit être dans un état pas possible, je revois le mirus dans lequel l'hiver pour chauffer nous mettions du coke. Je fais le tour par derrière la maison des Mazzella afin de voir l'arrière. Je vois notre terrasse. Aïe aïe dans un état. Mais bon elle est là. Mémé aussi qui plume les étourneaux que ma mère vient de tirer avec le fusil de mon papa ce qui lui valu une belle engueulade. Je revois tata Odette avec la famille qui enfile les brochettes que papa fera cuire dans la soirée. Alors que le soleil se couchant cela sentira l'anisette et le coumoun. Mémoire tu es tenace cela est bien mais parfois tu nous fais souffrir. Aller Gégé il est temps de laisser ta villa à sa destiné même si elle l'a pas choisit. Peut-être ne pourrai-je jamais plus y entrer. Mais au moins je reviendrai te voir, je resterai là dehors sans bouger et on se parlera des jours heureux. Comme Soljetnitsine dans son goulag et en silence nous nous rappellerons oui c'est bien cela: le temps des jours heureux. Aller va, laisses tes billes sur le trottoir tu les retrouveras en 2011.

Je pars pour la ménadia, je veux revoir l'épicerie au coin, juste descendre entre les arbres qui sont toujours là d'ailleurs et m'y voici. C'est toujours une épicerie tenue par un gentil Monsieur. Alors je me présente et de suite la communication passe. Pendant 20 minutes lui et moi nous parlons. Je lui raconte quand enfant je venais ici acheter et que je disais au mozabite qui la tenait "ma maman elle à dit que vous marquez" et de temps à autre cela m'attirait la remarque "dis à ta mère de pas oublier de passer payer car sa commence à monter" pas drôle d'être pauvre! Je me demande soudain. Que serais-je devenu si nous étions resté ici chez nous en Algérie. Sûrement que j'aurais travaillé à la centrale comme Jeannot mon papa. Baffff je ne le saurais jamais.

L'épicerie de la Ménadia

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Je remonte la ménadia vers mon école Beauséjour, ah cette école tu avais intérêt à marcher droit surtout avec Mr Lanaspre le prof. Ah quel tyran. Avec ses règles Fifine et Josephine il t'en mettait un coup sur la tête s'il te voyait à regarder les mouches au plafond. Voilà je sonne à l'entrée des filles. Et je demande Mll.... Que j'avais connue en 2009. Très gentille. Dés qu'elle me voit. Elle me sourit. Heureuse de me revoir. Entrez entrez. Venez un accueil merveilleux. Elle me dit venez je vais vous présenter le directeur, quel homme de coeur. Il me reçoit avec gentillesse et je sens de l'intérêt pour ma personne. Un homme intelligent, cultivé, je lui dis que ici est mon école, et que j'y ai passé plusieurs années. Aussitôt il me dit on va prendre une photo ensemble. Il me fait asseoir dans son fauteuil de directeur, il se met à ma droite et on y va de plusieurs photos.

Le directeur et moi

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Quel homme, quel grandeur d'âme, je suis aux anges cela me change de mon accueil froid à la villa, aussitôt il me dit "attendez on à tous les registres de l'école. Donnez moi votre date de naissance on va vous retrouver votre inscription". Et en effet. On me retrouve là, dans ce registre où il est inscrit sur le devant: École de garçons de Beauséjour Bône, commune de Constantine année 1957, directeur Mr Gaugère . Et puis on retrouve aussi mon nom dans les années 56/57/58. Je prends tout cela en photos. Tout est inscrit avec une écriture appliquée. Mon nom, le nom de mes parents, notre adresse à la cité Montplaisant, fils de Jean travaillant à EGA. Je caresse cette écriture car ces belles années de 1957 oui c'était le temps des jours heureux, merci Mr le directeur de votre disponibilité, je vous respecte car vous avez su comprendre ce que je ressentais. On se reverra en 2011. Je prends des photos de ma classe, du préau où nous devions nous mettre en ligne et sans parler pas comme maintenant. J'ouvre le robinet du bassin qui est toujours là.

La cour de l'école Beauséjour

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Ce robinet où après avoir courut dans tous les sens nous allions boire goulûment de grandes gorgées d'eau. Je regarde cette cour où j'ai si souvent joué et usé mes sandales en plastic de chez Bata, je tourne et me retourne dans tous les sens car ces murs sont les miens. Ils ont connu mes joies et mes peines d'enfants, ils ont abrité mes secrets, qui à l'époque étaient immenses et que je trouve maintenant si désuet et cela me fait rire aux éclats ah comme je suis heureux. Cet air que je respire dans cette cour d'école a pas changé, ni les cris des élèves, je suis aux anges, je suis à mon école de Beauséjour. Il est maintenant midi 30. Nous mangeons un sandwich aux merguez hummmm bon bon bon.

Un gros morceau m'attend. Le cimetière!! Je me rappelle de tout. Nous y sommes si souvent allé et surtout surtout depuis 48 ans afin d'être sûr de ne pas oublier mon pays je me suis à chaque jour remémoré ma vie à Bône. Non je n'ai pas perdu mon temps. Car si tu as pas de passé. Tu n'as pas d'avenir. Je longe le mur du cimetière et j'appelle Aïcha et Mohamed, car je les connais les deux gardiens, dès qu'ils me reconnaissent un grand sourire m'accueille, on y va de grande embrassades, heureux de se revoir. Je leur dis "j'ai plein de demandes pour des photos de tombes, alors aidez moi" et nous voilà à la recherche des tombes dont je devais absolument prendre des photos. J'en profite pour photographier toutes les tombes à ma portée, je me dis que cela sera sûrement apprécié, bien sûr le temps ici aussi a fait son oeuvre et comme il n'y a pas d'entretien alors la nature reprend ses droits, je parcours ces allées et l'image qui me vient à l'esprit, c'est le gros derrière de ma maman avec son sceau quand nous partions nettoyer la tombe des frères, oui maman je te revois comme si le temps n'était pas passé, quel bonheur la mémoire. Je retrouve la tombe de mes frères.

L'entrée du cimetière de Bône
La tombe de mes deux frères

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Je prends un peu de terre. J'y enterre une photo de mes parents, et je parle et je parle avec eux. Mon ami, Aicha et Mohamed ont tout comprit et se retirent un peu. Le temps de cet instant dans le temps, oui je vous le promet en 2011 je reviens et je ferai faire un marbre sur lequel sera gravé "à mes frères Charley 1 et 2 nous ne vous oublions pas. Vos frères, soeur et parents" et je pleure, alors je prends avec ma main mes larmes et je frotte sur la tombe ma main mouillée, voilà mes frères vous ne dormirez plus seuls. Tant de choses défilent en cet instant, .... Mon ami me dit "t'en fais pas on se débrouillera du ciment et on fera cela très bien". Aller Gégé faut partir, ah je regarde autour de moi, tous ces morts allongés là dans le silence c'est en même temps petit et en même temps grandiose, ils ont fait l'Algérie, je regarde les noms. Non vous n'êtes pas rien. Vous êtes ma race. Celle des pieds noirs d'Algérie, et j'entends bien vos rires vos larmes. Vous avez aimé. Vous avez souffert, j'entends vos "diocane à la madone", vos, "va va va", vos "aller va j't'en donne une aregarde si tu me laisse pas tranquille" tout notre langage haut en couleur, mélange de français, d'italien, d'espagnol et d'arabe, etc etc, qui donnait un langage coloré, nos exagérations, mais tout est bon enfant, ah oui mais je le sens personne n'est vraiment mort ici. Vous êtes bien vivant, chanceux vous vivez dans ce beau pays. Notre pays, l'Algérie! Je redescends l'allée du reposoir vers la sortie. Je me retourne souvent il y a tant de vies. Oui je dis bien tant de vies ici combien de larmes lors des enterrements sont passées par cette porte de fer, ainsi est la vie. Aller faut encore partir.

Le petit jardin en face du cimetière

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Je veux retrouver le petit jardin qui est juste de l'autre côté du cimetière mais dont il faut faire le tour pour en trouver l'entrée. Ah que de souvenirs ici, quand enfant avec ma maman, et pendant que papa travaillait, on venait pour jouer. Les allées sont toujours là, le stade aussi mais alors dans un état pas possible aie aie. Mais je m'en fous moi je veux mon petit jardin et lui oui il est là, les bancs aussi où pendant que nous jouions ma maman s'asseyait, lisait ou tricotait en nous disant: "enttention si vous jouez, vous jouez devant à mes yeux, le premier qui s'éloigne je lui donne une tannée". Des tannées on n'en a jamais eu. Combien on a couru dans ces allées sous le chaud soleil de juillet et d'août. On entendait les cris des sportifs qui étaient juste de l'autre côté dans le stade. Et avec mon frère, laisse qu'on court, avec aux pieds nos sandales en plastique et oui encore de chez Bata et ma mère qui criait "aller aller c'est ça cassez vous les cornes mais venez pas pleurer hein" les même fleurs sont là ces espèces de petite clochettes jaune dont je me rappelle nous mordillions les tiges verte et cela nous laissait un goût aigre dans la bouche, oui me revoilà à dix ans alors je m'assoie sur un banc et je me demande sur lequel maman s'assaillait. Alors je décide de faire tous les bancs autour de moi, en frottant mes fesses sur toute la longueur des bancs, j'espère avoir réussis à m'asseoir sur celui où Mère courage, ma maman posait son gros derrière. Et oui elle avait toujours eu un gros derrière ma maman. 

Et voilà faut encore partir. Car je dois aller rue du docteur Mestre, à ce que nous appelions la vieille maison. La maison où nous sommes tous né sauf ma soeur. J'avais promis aux algériens qui y habitent de revenir les voir car ils avaient été adorables de gentillesse en 2009, alors je pousse la porte du portail et je tape à la porte, la mémé ouvre, et sitôt qu'elle me reconnaît, son visage devient radieux heureuse de me revoir. Mais alors heureuse et moi donc. Et voilà les grosses embrassades, quel accueil. Digne d'un fils qui revient à la maison, et voilà les gâteaux, le thé à la menthe, je suis au bonheur total, aussitôt je suis invité pour le lendemain à manger un couscous. Car ça à l'air que le papy il était pas content en 2009 qu'on ne m'ait pas invité à manger et avait sermonné toute la famille en disant "comment celui qui à habité ici revient et vous lui avez offrez rien". Quelle gentillesse. Mais bon mon programme continue et après une heure ensemble on se quitte jusqu'au lendemain.

La plage de Saint Cloud

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Je repars pour la plage de St Cloud je veux entendre la mer. Les vagues, j'ai besoin de ces odeurs et bruits qui ont fait mes jours heureux, je suis là face à la mer près de la pierre carrée qu'une tempête a emporté il y a quelques années, derrière moi les mille logements, je regarde les bateaux qui partent au loin, ils ressemblent a ces même bateaux que je regardais 50 ans avant. Non rien n'a changé, sinon nous les hommes. Le soleil se couche tout doucement sur St Cloud, je respire à pleins poumons cet air que je connais si bien, il entre en moi comme pour me dire, "tu vois tout le décor est en place", je ferme les yeux, j'écoute le bruit des vagues. Je n'entends plus le monde autour de moi, je suis seul, avec mon Algérie. Je regarde sur ma droite tiens Marie Louise est là assise avec son tricot, les pieds enfoncés dans le sable, elle me regarde."ne t'éloigne pas que je te vois devant les yeux, hein!!". "Non maman je vais jusque à là bas et je reviens".
"Commence pas à me faire jbattre, je t'ai dis devant les yeux que on va bientôt partir que ton père y va rentrer et si y me trouve pas à la maison, un cinéma y va me faire". Vas y maman parles moi. Ha la mémoire à cela de bon que si nous lui laissons libre court elle nous rappelle tout. Je suis déconnecté du monde présent. Une fois de plus mon ami l'a compris et ne dit rien il me laisse dans mon monde dans mon Bône. Ah ce gros soleil rouge qui parait entrer dans la mer au loin combien de fois on l'a vu disparaître et on pensait que c'était pour se répéter toujours jusqu'à!! jusqu'à!! J'ouvre les yeux et je regarde en bas le trou carré, à droite Gassio. A gauche St Cloud derrière la route qui monte vers la ménadia. Bonheur total, 48 années n'ont pas effacé une seule goutte de mes sens. Il me semble que je ne suis jamais parti et puis il faut bien avancer. Je décide car il se fait tard de partir manger à la caroube mais je pars à pieds. Marcher sur ce trottoir mythique de St Cloud. L'envie me prend de sauter en bas sur le sable comme quand je le faisais petit et que ma mère nous disait alors "c'est ça, c'est ça aller vous casser les cornes mais venez pas pleurer après" alors je saute. Merde oui je saute et le sable s'enfonce sous mes pieds. Mon ami Algérien me dit en riant "ça va pas" je lui dis "au contraire ça va très bien" je suis heureux comme un gosse. Je prends tout mon temps pour marcher. Je repense aux soirs d'été où nous venions nous promener après manger toute la famille. On l'a faite en long et en large cette promenade de St Cloud. Et puis voilà j'arrive dans le virage de Chapuis, je longe la plage. Au bout le restaurant l'Albatros est toujours là, je continue ma marche, tiens voilà le virage qui mène au cap de garde, la nuit est tombée, à droite la mer vient caresser les rochers. Je suis cette route qui mène au cap de garde. Je revois les files interminables de voiture qui lors des mariages avaient l'obligation d'aller faire les plages et aller jusqu'au cap de garde au son des ta ta ta ta ta, cela me donne un petit sourire finalement le décor est là, il ne manque que les acteurs dont le temps a usé les jours.

J'arrive à la plage de la caroube. Où grouillent nombres de restaurants, ça sent le BBQ à plein nez, ça sent les brochettes, le mouton, le poisson frit, le coumoun, aïe aïe. Oui je suis chez moi, nous rentrons dans un resto, là je me paye la traite, 12 merguez et 6 côtes d'agneau, plus la bonne galette arabe cuite sur la pierre plus les poivrons grillés concassés avec de l'huile d'olive, aïe aïe que c'est bon la bonne cuisine Algérienne. Seul bémol y a pas de vin faut boire du hammoud. Bon j'aime bien la limonade mais là là, il semble qu'un bon coup de Sidi Brahim ce serait génial, mais bon vas y du hammoud mon Gégé, je rentre à l'hôtel à pieds je veux goûter toute ma soirée je suis crevé, fatigué mais tellement comblé de bonheur que je ne dois pas perdre une miette de ma communion avec mon pays.

Mardi, ah merde il pleut et puis bien bien. C'est la journée invitation couscous. Mais avant nous partons pour la place Alexis Lambert. Je revois mon école de musique, l'harmonie Bônoise là j'ai appris mes premières notes de musique. C'est maintenant un hôtel fermé d'ailleurs. Combien de fois mon papa m'y a amené à bicyclette depuis St Cloud pour prendre mes cours de solfège et il m'attendait. Je pense à cela et je me dis pauvre papa tu en a fais pour moi, quelle patience. C'est cela de l'amour, et on retournait à St Cloud moi assis sur le porte bagage et lui qui pédalait. Je me sentais protégé. Quel grand homme mon papa.

L'école des soeurs

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Je sonne à l'école des soeurs, j'explique que je veux voir le directeur car ici j'ai subi ma première école, il est très gentil ce directeur, il me fait entrer. Nous parlons, je lui donne des photos de moi à 5 ans prisent dans cette école. Il me dit être très honoré et me laisse visiter à la condition que je ne prenne pas de photos. Aïe aïe en effet je comprends il n'y a plus rien de ce qui était une perle de la religion, toutes les statues ont disparu, ça sentait la cire et le vernis. Là un vrai désastre aucun entretien alors une fois de plus le temps a fait son oeuvre. Tout est en ruine, je constate seulement, un choc oui un choc. Mais bon, je ne peux rien changer, alors je fais le tour je revois la cour où à 5 ans j'avais joué une scène dans une petite pièce de théâtre où je jouais le rôle du petit marin. Avec mon petit costume blanc et mon calot de marin avec le pompon rouge. Oui je reconnais bien la place où était l'estrade et tout autour de la cour les bancs accotés aux murs des classes sont encore là, où se mettaient les parents qui nous regardaient jouer. Je dois retrouver ma classe. Je le dois impérativement car j'y ai un souvenir, voilà c'est là dans cette classe où tout a vieillis aussi tristement. Ce qui me fend le coeur. Je retrouve mes 5 ans. Ah mémoire mémoire comme je t'aime. Je revois ma table où j'étais assis il y a longtemps. Les beaux encriers de porcelaine ont disparus. Toutes les tables sont usées à la corde. Mais l'estrade près du tableau est encore là, le bois est a vif, mais je la caresse. Je passe et repasse ma main dessus. Car un jour sur cette estrade Mlle Doris une espèce de vieille fille bonne soeur m'avait fait mettre à genoux, dos à la classe, les mains derrière le dos et le bonnet d'âne sur la tête et tous les enfants se moquaient de moi. Un espèce de grand chapeau de feutre gris avec deux grandes oreilles. On serait traumatisé à moins à 5 ans mais pas moi je devais être fort mais je me rappelle de cette garce de Mlle Doris.

Je fais un petit tour au marché aux poissons. Là aussi finit le beau marché que j'ai connu. Mon papa me disait "viens on va faire le marché" comme on aurait dit on va en vacances, ben y a plus de vacances. Triste constatation, tout est sale. Il y a quelques poissons mais finit les beaux étalages de mon enfance, je n'ai pas le goût de rester là. Trop triste. Ya plus rien à voir. Je regarde en face où se trouvait le bar le Canari et où mon papa chaque fois m'achetait un caldis tout chaud. Ah comme il était bon ce caldis. 

Le quartier de la Colonne

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Je décide de partir pour la colonne. Je fais un crochet pour retrouver cette salle connue de tout Bône, que fut la salle Borg où se déroulait tous les mariages. Je cherche l'entrée et un Mr très gentil me parle. Un vieux et oui les vieux se rappellent de tout, il me montre tous les changements de la salle Borg qui a été divisé en petits appartements. Il me dit, "venez venez je vous paye un café", oui on peut dire bien des choses mais nous pieds noirs somme très bien accueillis. Alors on y va d'un café. Je dois m'excuser car je suis attendu à la colonne. Alors je descends vers ce quartier. Qui ne connaît pas la colonne à Bône!!. Je passe devant l'ancien cinéma Rex. Je retrouve la statue de Diane la chasseresse qui était avant sur la place Alexis Lambert. Hélas elle aussi doit plus chasser grand chose car le temps est en train de l'user, pourtant si elle pouvait parler elle en aurait des choses à dire. Au passage en marchant je vois de beaux fruits et j'achète des oranges, des bananes et des pommes pour offrir à mes amis qui nous attendent pour le couscous rue du docteur Mestre. Je prends le maximum de photos. Mais là aussi ok si la colonne a toujours été un quartier de pauvres, la propreté était au rendez là. Là ce que je vois me désole au plus haut point aucune façade entretenue, les ordures jonchent les rues, ça pue. Bref une désolation. Mais comment un peuple qui a juste de quoi se nourrir peut entretenir les rues. Où sont les pouvoirs publics. Absence totale, je m'en fous, je suis chez moi. C'est sale ça pue mais c'est chez moi. Alors je regarde toutes les façades. Je pense à tous ces pieds noirs qui y ont habité et fait ce que la colonne était. Un quartier haut en couleur et en langage, je me dis qu'il suffirait que!!!!... pour que tout recommence, je sens que le petit peuple des pieds noirs habite encore ici. Tata Nanette. Tata Odette. Avec ton langage colorée. Madame Michel. Pourquoi est ce que je ressens toutes ces personnes encore comme si elles étaient là dans la rue à vaquer à leur occupations. Je ne le sais pas. Mais cela me donne un grand bonheur. Je le répète je suis chez moi. Je retrouve la rue Burdeau et le passage Savino où habitait tata Odette. Je sonne, mais personne ne répond. Je regarde le trottoir et je revois encore mon oncle Marcellin avec son vieux camion. Je les visualise si bien que je me dis, "pas possible, rien a changé". Pourtant tout a changé mais non rien a changé, les âmes de tous ces gens qui ont fait la colonne sont bel et bien là, on peut arracher quelqu'un à son pays mais on ne peut arracher un souvenir, une vie. Je retourne sur mes pas et j'arrive au coin de la rue du docteur Mestre, je retrouve le four à pain où maman, et d'ailleurs toutes les maman, vu que nous n'avions pas de four à la maison, allions porter notre pizza à cuire, dans le temps de pâques nos gâteaux des rois et on croisait toujours dans la rue du docteur Mestre des femmes avec le grand plat où nous mélangions le couscous. Mais dedans se trouvait qui une pizza, qui un gâteau des rois, qui autre chose avec dessus un torchon, parfois encore humide et taché, car il venait de servir à essuyer la vaisselle mais bon c'était ainsi.

Ah! Cette rue du docteur Mestre, je regarde en face du numéro 12 c'était la maison de madame Michelle une grande amie à ma mère et juste à côté restaient des algériens qui étaient alors là, non pas des amis, mais de la famille pour ma mère. Il ne se passait pas une journée si ma mère ou eux allaient chez l'un ou l'autre et que j'emprunte du sucre et que je porte des makrouts et que je viens chercher de la farine. Où est-il ce bon temps, je me rappelle il y avait une cour et toujours de la semoule de couscous qui séchait ça sentait le henné, et les herbes. Bref ça sentait bon, ça sentait notre pays l'Algérie. Comment pourrais-je oublier. Il y avait une vielle dame les mains toute colorées en orange par le henné et qui sitôt que je franchissais la porte me tirait sur elle et me berçait en me caressant le visage et je sentais l'odeur du henné, je sentais une odeur grasse, mais ça sentait surtout l'Amour. Je repartais toujours en face chez moi, avec un bout de galette arabe, et ma mère en me voyant qui me disait "Et oualla elle t'a encore donné de la galette et tout à l'heure tu vas pas manger et moi alors je fais à manger pour qui, pour tado".

Ah la là qu'est ce qu'on pouvait être heureux dans notre misère et puis je pousse le portail, le couscous m'attends, je pénètre dans la cour et je frappe à la porte sur la gauche, aussitôt je vois bien que nous étions attendu avec envie, on se sert tous dans les bras. On s'embrasse, et on parle et on parle. Et la mama me dit "vous voulez manger a table ou à l'algérienne". Ah non je lui dis à l'algérienne. On installe le grand plat en cuivre avec au centre le plat de couscous, hummmmm il était!!! On s'installe sur des poufs, nous mangeons non pas un couscous mais un dîner des dieux, et puis je regarde sur le plateau et je vois une carafe avec un liquide rouge et je me demande, "s'en est ou s'en est pas". Je fais un encart car en partant mon ami algérien part à rire et me dit "je t'ai vu regarder la carafe plusieurs fois tu m'as fais mourir de rires, ben voyons tu sais bien que c'était pas du vin, mais juste du jus de raisin" bon ben j'ai bien fais de pas y toucher ha ha ha.

La famille
Le couscous

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Nous prenons des photos, nous parlons de la maison, de ma vie dans cette maison, puis machinalement je me lève et je me mets à caresser la porte, à jouer avec la poignée et je te la caresse. Je me retourne, et comme s'ils avaient deviné ma question, ils me disent "oui oui c'est l'original" alors je pense aux nombreuses fois où mon papa et ma maman l'ont ouverte cette porte. Il me passe tant de choses dans la tête. Je revois tant de scènes, on a beau être petit on n'oublie rien surtout après une déchirure. Je regarde le plafond, les murs je vois, oui je vois maman qui passe et repasse dans ces deux pièces. Je suis sûr qu'ils sont là, je les sens heureux de ce qui se passe en ce moment. Ah quelle générosité ces braves gens je sens qu'ils m'aiment comme leur fils. Ils me le disent à plusieurs reprises. "vous êtes chez vous, venez l'année prochaine pas besoin d'aller à l'hôtel vous venez et vous restez ici avec nous". Alors voilà j'ai beau me contenir je me mets à pleurer. Alors surtout la dernière chose à dire à quelqu'un qui pleure, c'est bien "ne pleure pas" et je redouble tout en m'excusant mais voilà chacun se lève et me serre dans ses bras. Ah braves gens. Merci, merci oui avec vous j'ai retrouvé mes dix ans, comme quand c'était le temps des jours heureux.

Je dois partir, mais je n'en ai pas envie, recevoir tant d'amour et surtout quand cela vient de gens simples est un tel privilège un tel bonheur qu'on voudrait que jamais cela ne s'arrête. Pas de doutes je me dis comment ai-je pu attendre si longtemps avant de revenir chez moi, car si j'ai vécu jusque là, c'est ici en Algérie dans ma ville de Bône que je retrouve mes racines, que je retrouve ce que je suis, un enfant d'Algérie. Et surtout pas d'ailleurs!! Et puis voilà, cruelle décision le temps passe et faut se quitter non sans des embrassades qui ne finissent pas. Je me sens aimé et c'est bon, nous quittons sous la pluie la rue du docteur Mestre, je refranchis le portail, nos mains s'agitent et puis voilà je tourne au coin de la rue Sadi Carnot, ils sont encore là à me saluer. Merveille de l'amour, et puis et puis, je me mets à marcher en direction du cour Bertagna.

L'entrée de la salle Borg

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Je retraverse toute la colonne le même chemin qu'à l'aller, passe par la salle Borg et arrive à descendre la rue où se trouvait notre belle cathédrale, avec à ma droite la prison et le palais de justice. Je ne reviens pas sur la destruction de la cathédrale sinon que cela me rappelle les paroles d'un sage qui avait dit "l'homme est-il si peu sûr de sa victoire qu'il se croit obligé pour l'asseoir de détruire toute trace du passé, fusse la beauté!". FIN DE CITATION ou "le pouvoir sur la terre devient nul si à notre mort nous ne laissons que ruines". Aller: ne nous laissons pas distraire par ce qui ne peut être changé, je préfère retrouver mes dix ans des jours heureux. Pour moi la cathédrale est toujours là, majestueuse sur la petite colline, je la vois et je vois mon cousin se marier par cette belle journée du mois d'août. Descendre les marches, les cloches sonnent à tout va, les robes fleuries de toutes nos mamans et des filles volent au vent. Les rires fusent de partout. Ah les dragées pleuvent sur les marches et nous les enfants nous courons dans tous les sens et vas y qu'on se remplit les poches, mon cousin avec sa femme courent se mettre à l'abri dans la voiture, sous des pluies de dragées. "Les enfants pas dans les yeux hein pas dans les yeux les dragées!!!" un cri jaillit ma cousine qui ayant marché sur une dragée s'est tordu le pied et a cassé son talon aiguille et un put... de mer... lui échappe. En cette année 1960, les talons sont très haut et à qui aura le plus mince. "Ah oui qu'est cess tu dis, ma parole j'entends rien avé les cloches du curé si au moins il s, les faisaient sonner moins fort ce cournoutte de curé!!", et ça rie de plus belle. "Aller les enfants arrêtez de courir et mangez pas les dragées que après vous aller dire, j'ai mal au ventre!!! en tout cas moi j'vous soigne pas. heinnn!!!". Et les cloches qui redoublent, le soleil qui tape, les parfums des dames aux senteurs fleuris se mélangent, tout cela avec en toile de fond le cour Bertagna avec ses belles rangées d'arbres qui ondulent et le port qui se dessine à l'horizon, oui, tout ce beau monde descends en direction du cour Bertagna et embarque dans les voitures. En cette année 1960 la mode est aux robes légères juste en dessous du genou, avec volant, des robes à grosses fleurs claires, bleu ou jaune, ou vertes et avec le petit vent chaud tout cela volent et on croirait un tapis de marguerites qui déambule l'escalier de la cathédrale.

"Aller monte avec tata Germaine, tu oi bien ya plus de place avec tonton Marcel". Chacun embarque, ce qui avait débuté à la maison en bon ordre, ben là à la cathédrale pour repartir c'est la panique. Plus personne se rappelle avec qui il est venu et si il s'en rappelle il le retrouve plus. "Et georgo il est parti? allours moi je monte avec qui? eh ben trouve quelqu'un!! Tiens aregarde titine elle est toute seule, dépêche toi arregarde ils coummencent a partir tous" tiens une averse, "cournoutte et bastonnade alors!!" sauve qui peut général. "ma coiffure ma coiffure, que j'ai payé bonbon pour la faire faire" et puis ça rie de plus belle. Oupps la pluie est partie, le soleil revient et tape de plus belle, et tous ce beau monde part en voiture en virant à gauche derrière la cathédrale, part vers la promenade obligatoire, le tour des plages par la corniche jusqu'au cap de garde en klaxonnant ta ta ta ta ta, et finira à la salle Borg, où je me rappelle il y avait toujours deux ou trois hommes qui surveillaient dehors pas rapport aux fellaghas. Oui j'ai la tête dans les nuages, oui je ne voudrais pas que cela finisse, oui je suis heureux à dix ans et puis et puis, je ne sais pas si c'est le bruit des voitures qui s'éloignent et que je n'entends plus, ouppsss je viens de retrouver les bruits de la rue 2010. Souvenirs souvenirs mémoire mémoire, je t'aime... Boff!!! Non je garde mes dix ans.

Je traverse et arrive sur le cour. Mon gros arbre oui le premier sur la droite est toujours là, ah mon arbre si tu pouvais parler, que me dirais tu. Alors je le touche je le frotte, il est solide comme un roc. Les gens me regardent, je m'en fout... Décidément, j'arrête pas de me foutre de tout!!! Bofff, je suis chez moi à Bône. Dis moi mon arbre te rappelles tu, quand juste à côté de toi, avec mon papa qui me tenait par la main je regardais les défilés du 14 juillet. Oui juste dans cette rue qui descends vers les nouvelles galeries de France pour rejoindre le port, te rappelles tu de moi, qui se bouchais les oreilles tant la musique militaire était forte et de la légion qui défilait avec son mouton en avant. Soldats, tambours, oui je vois et entends tout... tout est là, devant moi, et c'est bon. S'il vous plait, laissez moi je veux pas revenir en 2010, je suis bien moi là sur mon cour. Je fais tous les arbres un par un, car tous ont une histoire, tous ont connus les jours heureux. Je fais le cour comme nous disions, je regarde à droite à gauche. Ce bel alignement d'arbres qui faisait notre fierté de Bônois, tout le monde est là, comme avant, juste ont changé les promeneurs, le théâtre est toujours là, je me rappelle de Dalida qui était venu y chanter son grand succès "Bambino"!!! Vous rappelez vous mes arbres, des belles demoiselles avec leur robes fleuries et oui fleuries encore cette image qui me revient, elles s'asseyaient sur les bancs et refaisaient le monde. Un créponet acheté à l'ours polaire qui se dresse toujours là impassible du temps qui passe, même mes cousines sont là, Fifine, Jeannine, Juliette, qui partaient depuis les quatre chemins faire le cour et montrer leur 20 ans, elles sortaient de chez elles sans maquillage mais tout était dans le sac à main caché, et là, elles entraient au cinéma REX, se maquillaient et partaient faire le cour et au retour même stratagème, passage au cinéma pour enlever tout le maquillage et rentrer, à la maison. Car si mon oncle leur père les voyait maquillées, aie aïe la tréa qu'elles se prenaient. L'ours polaire, lui il s'en fout, ses créponets se vendent toujours, je regarde cet ours qui ne se rend pas compte que nous ne sommes plus en 1960 tant presque rien n'a changé. Voilà les galeries de France, ils sont fermés. Les grilles ont rouillé avec le temps. Pourtant en 1960, on allait aux galeries de France voir les nouveautés, c'était LE!!!! Grand magasin. Je fais un tour vers la pâtisserie Piccione. Je parle avec le proprio un homme gentil à qui je promet de revenir il est heureux de voir les pieds noirs revenir chez eux, la vieille ville, aïe!! Vieillit mal. Pourtant ici nous allions chez tata Adrienne rue Trizel, non loin de la placette, cette placette où nous mangions un couscous, mais alors un couscous hummmm!!! Le marché est là, étalage de fruits et de légumes je reconnais les belles oranges thomson, toujours aussi grosses et juteuses, non le décor a peu changé. Je traverse le bas du cour, laissant à ma gauche le port qui maintenant est complètement fermé, mais, à la belle époque. Nous le longions il n'y avait rien sinon des pêcheurs qui rafistolaient leur filet avec la cigarette Bastos à la bouche, et souvent sur le côté qui borde la centrale nous pêchions avec des palengrottes des sparles dont nous nous régalions. Finit les sparles. Adieu mon port tu es maintenant en prison derrière de hautes grilles.

La gare de Bône

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Je me dirige vers la gare des trains. Ah elle n'a pas changé belle comme un coeur, j'entre. Combien en as-tu vu des départs et des arrivés de tous ces gens qui couraient dans tous les sens. Eh bien ça continue à courir pour un train pour quelque part, je me rappelle de tonton Joseph le mari de ma tante Adrienne qui y travaillait et qui un jour m'avait fait monter dans une micheline. Ah comme je trouvais cela haut, je regardais le train avancer et je me sentais grand. Je revois la vitre sale à travers laquelle il fallait regarder les rails et tonton m'avait fait faire quoi 100 mètres mais il me semblait que nous partions au bout du monde. Je regarde les plafonds et les murs encore recouverts de leurs dessins originaux, dessins qui donnent une belle idée du dur labeur de tous ces pionniers qui ont fait l'Algérie moderne des années 60. Elle est belle ma ville elle est riche de son passé grandiose, et je ressens une grande fierté. 

Voilà, je longe la gare sur le côté gauche et me dirige vers le champ de Mars, le sable qui garnissait la place a disparut, les galeries Barbes aussi, le magasin Henri Machin aussi, mais l'école du champs de Mars est toujours là, je fais le tour du regard, je m'évade, je ne suis plus là, et puis et puis!!! Le temps s'écoule. Alors je remonte car il se fait tard je retrouve le cour Bertagna, je suis heureux. Tiens si je prenais une calèche, mais les calèches ne sont plus là. Comme partout dans le monde un vilain modernisme a prit leurs places, de vilaines voitures polluantes salissent le cour et noircissent les arcades, pourtant les calèches je les vois bien là, au bord du cour, le long de la mairie, les chevaux hennissent, ils ont leur sacs au derrière pour ramasser le crottin, ça sent fort mais ça sent le cour Bertagna. Alors pour rentrer à mon hôtel El Mouna je prends un taxi, mais dans ma tête je suis dans la calèche. Je ferme les yeux tout le long du trajet, je veux, comme en 1960, entendre les clop clop clop du cheval, je me laisse bercer, la tête en arrière et ce que je vois ce sont tous les arbres du cour et les arcades qui défilent au dessus de moi. Le petit vent chaud du siroco, qui me caresse, le parfume de maman, oh pas un parfum cher car pas de flouss mais ça sent bon les fleurs. Parfois je glisse un peu vers le côté où est assise la Marie-Louise, je pousse avec ma main pour me redresser, et clop clop clop, le cheval avance. Je sens l'odeur du crottin qui mélangé au parfum de Louisette qui finalement, non!! Oui!! Tout cela sent bon, ça sent l'été de mes dix ans, ça sent Bône, ça sent les jours heureux, un coup de frein brusque me ramène à la réalité je suis arrivé à l'hôtel El Mouna. La vilaine voiture qui pollue aussi et ma calèche est partie......partie ma maman.

Et puis un autre gros morceau m'attend aujourd'hui mercredi. Cela fait 48 ans que je pense à Sididjemil. Le terrain de chasse de mon papa et moi. Ce matin c'est le grand jour, vais-je trouver mes montagnes mythiques? Vais-je trouver la SAS? Les sections Administratives Spécialisées (SAS) étaient chargées de "pacifier" les secteurs, ancien camp militaire, toutes ces questions! J'embarque dans le taxi, qui doit me conduire. Voilà la corniche qui s'étire, le port, la gare des trains et la route de Duzerville, puis Mondovi, je vois la première pancarte "Sididjemil" quel bonheur, ce nom résonne en moi comme liberté, combien de fois à l'école Beausèjour, je n'écoutais plus le prof, la tête dans les nuages en pensant au dimanche qui arrivait et aux sangliers de Sididjemil, aux montagnes, aux cris des traqueurs, aux coups de fusils, voilà mais 48 ans ont passés. Vais-je retrouver mon Sididjemil, il me semble reconnaître la route, mais non, nous nous sommes trompé, demi tour et encore demi tour. Nous cherchons, nous demandons, je commence à désespérer et puis de braves gens nous disent. "Oui oui la SAS existe toujours, allez par là, à environ 20 Km" mais dès que nous attaquons la route je ne vois que des constructions de maisons dans le bled alors que tout était désert en 1960. Je comprends ça peut changer. Mais bon!! Je dis à mon papa "papa aide moi à trouver" et puis d'un seul coup toutes habitations cessent, nous attaquons une côte dans un paysage sauvage, mi-montagne mi-vallée oui je me dis si ça monte c'est par là, car il fallait monter une petite route pour accéder à la SAS, oui ouiiiiiiiiiii je reconnais la route, et puis comme pour me le certifier deux sangliers nous passent devant et traversent, merde je n'ai pas mon appareil photo. Mais quel bonheur!!! Je savais que pour arriver à la SAS il fallait en haut de la côte tourner à droite sur une route de terre et passer aux milieux de gourbis. À l'époque les gens se mettaient là pour être protégés des fellaghas. Alors je cherche quelques traces. Mais rien aucun gourbi, juste une nature sauvage. Je vois bien sur ma droite en haut de la colline des ruines, des murs, mais est-ce Sididjemil, la SAS? Alors nous demandons à des bergers, qui nous affirment que oui! Je suis anéanti. Est-ce qui reste de mon Sididjemil. Le coeur me bat à tout rompre, je décide avec mon ami algérien de grimper la colline vers ces ruines. Mais catastrophe, il a plut durant la nuit, et le sol de glaise nous met des paquets de boue aux souliers, souliers!!! Parlons en!! Des tennis!! Voilà ce que nous avions aux pieds. Alors nous marchons il fait chaud, le coeur me bat à tout rompre, l'émotion, je pense à mon papa, car c'est pour lui que je suis là, tout ici parle de lui, c'est son territoire dont il parla jusqu'à sa mort. Je me décourage, ça à pas de bons sens, mes baskets sont dans un état pas possible, je veux abandonner, je dis à mon ami "écoute on peut pas continuer, regardes cette merde aux pieds", je suis découragé, fatigué, la chaleur, les émotions mes soixante ans, bref. Je veux retourner sur la route, c'est la défaite, je n'approcherai pas la SAS de Sididjemil (ou à cause des fellaghas nous étions tenu de nous signaler car sinon aux coups de fusils les militaires auraient rappliqués pensant que c'était des fellouss). Je me retourne pour faire demi tour et mon ami algérien me sauve la vie, oui la vie car 48 ans que je pense à Sididjemil et voilà que je me décourage pour de la boue. Il me dit "écoutes on y est presque, ça fait 48 ans que tu penses, que tu pleures, que tu parles de Sididjemil, que tu ne vis que par Sididjemil, tu as fais une promesse à ton père de revoir pour lui ses montagnes, si tu fais demi tour maintenant tu ne te le pardonnera pas, laisses, les baskets sont pourris, nos pantalons plein de boues, donnes moi la camera et on y va, ne retournes pas en arrière tu ne pourras vivre avec ça, il y a trop longtemps que tu attends", mais je lui dis: "je suis crevé, fatigué", les émotions se bousculent, j'ai le coeur qui va me sauter. Il me dit "Prends courage, regardes Sididjemil est là à 300 mètres, aller on y va!" Ah merci mon ami, tu viens de me sauver et je recommence à monter la colline. Quelle chaleur, la boue qui me colle aux souliers, j'ai le coeur qui contrôle plus rien, je regarde à droite, à gauche, ouiiiiiiiiii c'est bien mes montagnes.

Moi à Sidi Djemil
Le roi du monde à Sidi Djemil

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Je vis un des plus beaux moments de ma vie, je retrouve mes dis ans. Je grimpe, je grimpe. Vas y gégé, tayo!!tayo!!, mais plus j'approche, plus je ne vois que ruines, murs écroulés (voir mes photos), et me voilà je touche au but. J'y suis, j'arrive à la SAS quel bonheur. La chaleur, le souffle court, en sueur, j'halète. Ma respiration est saccadée, mais si mourir de bonheur c'est cela alors je veux bien mourir à cet instant. Je suis aux petits oiseaux. Je promène mon regard sur toute la vallée, je regarde les murs, je retrouve tout ce qui était le fort, la SAS en suivant les traces de construction de ce qui reste au sol. Certains bâtiments sont encore bien debout, mais toutes les toitures de tôle ont disparues. L'herbe a tout envahit et même les broussailles ont poussés à l'intérieur de la cour et cela à hauteur des épaules. L'enfant que je suis revois les militaires qui s'affairaient à leur occupations, les camions GMC, les jeeps, je regarde les militaires qui tirent au mortiers dans les montagnes, il y avait tant de vies et là plus rien le silence total, mais je suis bien dans la SAS de Sididjemil, je roule la terre dans mes mains, je la lance en l'air je pousse des cris de joies, je dis "papa tu es chez toi mon papa", ah comme je suis heureux. Je retrouve ce qui reste de la salle à manger, certains carrelages sont encore là. Je ramasse deux gros morceaux à rapporter pour mettre sur la tombe de papa ainsi que de la terre, et je parle et je parle, mon ami écoute il sait que c'est pas le moment de m'interrompre.

Mon papa immortalisé à Sidi Djemil

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Il fait chaud, le soleil tape, il est 13 heure, je ramasse une pierre et sur un des murs dont le ciment est intact, j'inscrit "2010 Jean Rodriguez le roi des chasseur" voilà papa tu as repris possession de ton territoire de chasse, et je cherche un bel endroit pour ce que depuis 48 ans je n'ai cessé de penser que je ferai à Sididjemil. Trouver un endroit pour y mettre une photo de papa en chasseur prise à Sididjemil en 1960 et une paire de défenses de sangliers (voir mes photos), un des derniers qu'il à tué ici à Sididjemil, je soulève une grosse pierre mais un gros scorpion apparaît: non pas bon, je creuse avec mon ami le sol dur mais je ne suis pas convaincu, et puis je vois le mur d'enceinte côté nord qui est encore haut et bien conservé, je grimpe dessus et de là, je vois tout le bas de la montagne tout ce qui a retentit des coups de fusil de papa et je décide que ce sera là, juste en bas du mur dans ces grosses broussailles, ces broussailles où papa a si souvent rampé dedans pour tuer son sanglier au ferme, oui ce sera là.

Les défenses du sanglier tué par mon papa

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Je dis à mon ami de prendre durant tout ce que je vais faire et dire, oui prendre le maximum de photos et surtout sans s'occuper de moi et de ce qui va se passer et là, dressé sur les murs, face aux montagnes verdoyantes qui descendent tout doucement vers l'horizon, vers ces broussailles qui nous ont si souvent égratignées les habits et mes 10 ans, avec le soleil qui m'écrase, l'odeur du thym sauvage, le vent chaud, les deux mains chacune tendues avec une, la photo de papa et l'autre les défenses de sangliers, je suis comme dans Titanic: oui je suis le roi du monde, je déconnecte du monde et je dis: "Papa toi qui a régné en maître sur ces montagnes qui t'ont rendus si heureux, c'est pour toi ce moment que je suis là, tu n'as jamais pu revoir ton Sididjemil, mais aujourd'hui tu y es", les larmes me viennent comme je n'ai jamais pleuré, le corps me secoue comme il ne m'a jamais secoué, mais je continue, parfois je force mes paroles car je suis trop en gros pleurs que les mots ont du mal à sortir "vas y papa, vas y Jeannot, tues les tous les sangliers, aoujek aoujek (le voilà) papa. Cours papa cours comme tu le faisais avant, je suis là avec toi, regardes papa il vient à gauche et pan!!pan!! Donnes y, oui mon papa je t'aime, oui mon papa on chasse à nouveau à Sididjemil, maintenant et pour toujours tu seras ici chez toi, tu chasseras chaque jour. Tu te rappelles papa il pleuvait, il ventait, on courait, regardes papa les voilà tes montagnes de Sididjemil. Elles sont belles, elles sont les plus belles montagnes du monde car c'est ici que tu as été heureux, pas dans ce cimetière de Normandie. Papa, papa, papa, mon papa sois heureux, et chasse pour toujours, tremblez sangliers Jeannot est revenu" et je lance dans les broussailles la photo de Jeannot et les défenses de sangliers, aux milieu de cris et de larmes et là je m'assoie sur le mur les pieds pendants, et je pleure comme jamais, mais je suis heureux. Je suis soulagé.

Je sais que j'ai encore parlé mais je ne me rappelle plus, je sais que je suis resté un long moment assis les jambes pendantes, le dos courbé à regarder les broussailles où je venais de tout lancer. Mon regard se porte des montagnes, aux broussailles. Alors je sens la main de mon ami Algérien qui se pose sur moi, il me caresse l'épaule. Je sais qu'il comprend tout. Il me dit "ça va?" le pauvre j'ai du lui faire peur avec mes cris. Mais il a tout comprit, merci S.... je lui réponds tout simplement "oui ça va, ça va même très bien" et je me mets à rire, mais à rire, ah comme je suis bien, voilà je sens 48 années de poids, et de frustration qui sont parties, 48 années où je parlais à tout le monde de Sididjemil en Algérie, et je viens de revoir Sididjemil, le bonheur ne se définit pas, car on sera toujours en dessous de la vérité, on ne peut que maladroitement en parler. Les stars de cinéma, les riches, les suffisants en parlent, mais ils ont rien connus du vrai bonheur. Le bonheur se vit, se boit, on le garde en secret, le bonheur pour moi j'y suis. Là en Algérie, mon pays, dans les montagnes de Sididjemil, en 1960, avec mon papa, son fusil, un morceau de pain de l'eau et une boite de sardines. Alors messieurs les riches, dégagez y a rien à voir.

Et puis je redescends. Je dis merci à mon ami qui m'a encouragé à grimper. Oui cela aurait été une catastrophe, une grande défaite de ne pas y aller, je sens mon papa heureux. Ah Jeannot tu es déjà en train de leur courir derrière à tes sangliers. Aller vas y vas y tu as toute l'éternité pour toi. J'arrive au taxi je suis si heureux que j'embrasse les deux mains de mon chauffeur de taxi qui ne parle pas un mot de français. Je lui dis, merci, merci, il est très gentil, il a tout comprit, car S.... lui avait dit la raison de pourquoi je voulais venir ici. Il embrasse aussi mes mains, en me regardant dans les yeux, il ne faut pas grand-chose pour que les hommes se comprennent, juste la même misère.

Le taxi redescend la route de Sididjemil. Je me sens un petit oiseau. Mon ami qui a encore un peu peur de mes réactions me dit "on va revenir l'année prochaine". Je lui dis "oh que oui". Voilà Sididjemil s'éloigne.

Sur les marches de la basilique Saint Augustin

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Je décide d'aller à Saint Augustin, je veux revoir la petite route qui serpente aux milieux des oliviers, tout est là, je rencontre un autre pied noir de Bône, on se met à parler, de quoi? hé!! de Bône "aouaa tié de Bône!!" et voilà c'est parti pour une bonne rigolade. Je visite la basilique, je prends encore le maximum de photos pour ceux qui ont pas la chance de revenir chez nous, j'imagine toutes les processions au son de avé avé, combien de souliers de pieds noirs se sont usés sur cette route en serpent et sur ces marches. Combien de voeux ont été demandé devant ce fameux Saint connu du monde entier, et puis je rentre tout doucement à Bône.

Je demande au taxi de nous arrêter à la caravelle car je veux refaire toute la corniche à pieds jusqu'à l'hôtel El Mouna, je veux surtout descendre en bas du lever de l'aurore juste dans le virage et m'asseoir là où enfant je venais pêcher avec mon papa, c'était mon poste! La mer a pas changé, je regarde, je regarde. Les rochers qui ont vu nos lignes se briser sur un sar trop gros, je revois mes premières chelbas attrapés, je regarde le rocher où tonton Julien alors lui le roi des pêcheurs (oui longtemps après être rentré en France, je me promenais à la Ciotat avec lui et nous avions croisé un ami à lui qui ne me connaissait pas et il me dit,"petit je présente le plus grand pêcheur de Bône"), je regarde le rocher qui avance dans la mer et où trop petit, la nuit mon père me prenait sur ses épaules pour traverser depuis la plage et là assis on en a prit des sars, et mon papa y jetait du bromège et disait "aouaahh ce soir ça donne pas, diocane pourtant la mer, elle est bonne, mais je crois que on va rien faire, ouallou!!" et paff on se prenait une châtaigne dans le roseau et que je te sors un sars, et papa disait "ah ta mère elle va être contente heinnnnn!!!". Et oui des petits bonheurs là au clair de lune des soirs d'été de Bône, je marche sur la plage. Je remonte par l'escalier de ce qui fut un restaurant mais qui est désormais une salle de sport mais alors dans un état pas possible, les détritus sont partout, je me dis "tout cela est malheureux". Mais je suis à Bône et je m'en fous. Je regarde dans le coin droit ce qui reste du cabanon de tonton Julien, où toute la smalla passait l'été, mon oncle comme il tapait la bouteille souvent, alors la nuit durant nos belles nuits des mois de juillet et août il me racontait, que depuis la plage il lançait deux palangrottes juste vers le rocher qui avance dans la mer, il se les attachaient aux gros orteils, et se couchaient sur le sable en regardant les étoiles et quand un sar mordait ou un loup ça lui tirant les pieds et lui, aller!!! Va y que je remonte la palangrotte. Bonheur simple des gens simples!! Ces quelques lignes sont pour toi tonton julien.

Et je remonte tout doucement vers St Cloud, le soleil commence à descendre. Des pêcheurs sont toujours là depuis le haut de la corniche ils lancent des moulinets comme toujours, je longe les arcades sous le collège d'Alzon, j'arrive à Gassiot, St Cloud, je laisse la pierre carrée, les gens se promènent, les amoureux s'enlacent, je regarde la mer, les milles logements, tout est tellement pareil, que je ne veux pas quitter mon paradis. J'arrive à l'hôtel El Mouna. Ce soir encore j'irai à la caroube me gouinfrer de merguez et de brochettes, et d'harissa et de cumin, hummmm.

Jeudi matin dernier jour, je me lève de bonne heure, je veux aller voir la mer, je regarde ce qui fut le Lido, la statue de l'ange noir qui garnissait l'entrée du Lido est toujours là. Je rentre dans ce qui est maintenant une clinique. Je me dis combien de beau monde est passé par là pour aller danser, boire et vivre nos belles nuits d'été de la plage de St Cloud, je retraverse, la mer est calme, le soleil se lève des pêcheurs partent mettre leurs filets à la recherche des marbrés, ils s'éloignent que c'est beau. Ah si j'avais pas le mal de mer je leur aurai demandé d'aller avec eux, alors je leur demande simplement de me ramener deux bouteilles d'eau de mer que je ramènerai avec moi, je m'assoie sur le sable et sans trop le faire voir je creuse un trou avec un bâton et j'enterre une photo de papa et maman. Voilà vous serez toujours à St Cloud les plages, oui même si les hommes passent, le décor de théâtre est toujours le même.

Sur la plage de Saint Cloud
La plage de Saint Cloud avant mon départ
La plage de Saint Cloud

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Les acteurs sont partis d'autres les ont remplacés, non!! Non!! Les acteurs que j'ai connus sont toujours là, autour de moi les Jammy, les Redzins, les Hernandez, les Sultana, avec leurs cris, leurs bonheurs et leurs peines. Je les vois se promener les soirs de juillet en traînant bien leurs savates qui sur le sable de la promenade fait crisser les petits grains dorés encore chauds de la journée, tout me semble éternel, je crois que oui. Si seulement nous gardions notre âme d'enfant. Car aujourd'hui je suis là et le temps a pas changé il me suffit de fermer mes yeux et mes dix ans sont là, bonheur ultime de ce retour à l'enfance insouciant de l'orage qui s'annonce.

Ah!! Mon ami pourquoi me dis tu qu'il faut partir ou on va manquer l'avion. Alors je me lève je marche en marche arrière vers le trottoir car je veux garder la mer encore pour un moment avec moi, sur elle danse des milliers de diamants, car le soleil se lève, j'écoute les petites vagues qui meurent doucement en roulis sur la berge, St Cloud tu es belle. Aller il faut se décider. Dans ce taxi qui me mène à l'aéroport, je réalise tout ce que je viens de faire. J'ai pu vivre quelques jours magnifiques, je suis comblé, je respire à plein poumons cet air de chez nous, je sais que je vais revenir et j'ai très hâte, je sais que tant que la santé me le permettra, je reviendrai à Bône, car là sont mes jours heureux.

Tiens j'ai finis!!!

CONCLUSION

"Alors gégé tu as réussis à dire ce qui était en toi?"

"Oui j'ai dis ce que je voulais avec mes mots, pas ceux d'un écrivain bien sûr de toute façon les écrivains souvent inventent leurs histoires: moi la mienne est vraie. Mes mots sont ceux d'un enfant de la cité Montplaisant, qui a été à l'école juste assez pour se débrouiller dans la vie, dont un jour de 1962 la vie a basculé et qui vient de la retrouver. J'ai vécu ces belles journées chez moi, à Bône, où l'enfant d'avant 1962, et l'adulte de 2010 ont fait la paix. Je viens de revivre les jours heureux."

Alors Bône à 2011

Gérard

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